Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/308

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arrivé quelque chose… Mais on ne m’a pas emmené… Je me suis tranquillisé : si on vous avait arrêtée, on ne m’aurait pas laissé en liberté…

Il la conduisit dans la salle à manger, continuant avec animation :

— Toutefois, on m’a chassé de mon bureau… Cela ne me chagrine pas… J’étais las de dénombrer les paysans qui n’ont plus de chevaux… j’ai autre chose à faire…

À voir l’aspect de la pièce, on aurait dit qu’une main vigoureuse dans un stupide accès de violence avait secoué du dehors les murs de la maison jusqu’à ce que tout fût sens dessus dessous. Les portraits gisaient à terre, les tentures étaient arrachées et pendaient en lambeaux ; à un endroit, on avait soulevé une lame du parquet ; la tablette de la fenêtre était éventrée ; devant le fourneau, les cendres répandues.

Sur la table, à côté du samovar éteint, se trouvaient de la vaisselle sale, du jambon et du fromage sur un morceau de papier, des chanteaux de pain, des livres et du charbon. La mère sourit. Nicolas prit un air confus.

— C’est moi qui ai complété le désordre… mais cela ne fait rien, mère, cela ne fait rien. Je crois qu’ils reviendront, c’est pourquoi je n’ai rien rangé. Eh bien, avez-vous fait bon voyage ?

Cette question la frappa lourdement à la poitrine ; de nouveau l’image de Rybine se dressa devant elle ; elle se sentit coupable de n’avoir pas parlé de lui tout de suite. Elle s’approcha de Nicolas et se mit à raconter en essayant de rester calme et de ne rien oublier.

— On l’a arrêté !…

Nicolas tressaillit.

— Oui ? Comment ?

La mère le fit taire d’un geste, et reprit comme si elle eût été devant le visage de la justice elle-même et qu’elle se fût plainte du supplice de cet homme. Nicolas, adossé à sa chaise, pâlissait et écoutait en se mordant les lèvres. Lentement, il enleva ses lunettes, les posa sur la table, passa sa main sur sa figure, comme pour en enlever une toile d’araignée invisible. Ses traits devinrent aigus ; ses pommettes se firent étrangement saillantes, ses narines frémirent. C’était la première fois que Pélaguée le voyait dans cet état ; cela l’effraya un peu.

Lorsqu’elle eut achevé son récit, il se leva en silence,