Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/311

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des paperasses… Une année de cette vie a suffi à me mutiler… Car j’étais habitué à vivre parmi le peuple, et quand je me sépare de lui, je suis mal à mon aise… Je tends de toutes mes forces vers la vie populaire… Et maintenant, je puis de nouveau vivre librement, je puis revoir les ouvriers, leur enseigner ce que je sais… Comprenez-vous : je resterai près du berceau de la pensée nouveau-née, devant le visage de l’énergie créatrice naissante. C’est étonnamment simple et beau et terriblement excitant… On devient jeune et ferme, on se rassérène, on vit intégralement…

Il se mit à rire avec gaîté ; et son bonheur, la mère le partageait.

— Et puis, vous êtes une créature excessivement bonne ! déclara Nicolas. Vous avez en vous une force si grande et si douce… elle attire les cœurs à vous avec tant de puissance… Vous dépeignez si parfaitement les gens. Vous les voyez si bien !

— Je vois votre existence, je comprends, mon ami…

— On vous aime… et c’est si merveilleux d’aimer une créature humaine… c’est si bon, si vous saviez !

— C’est vous qui ressuscitez les êtres d’entre les morts, c’est vous ! chuchota la mère avec chaleur en lui caressant la main. Mon ami, je réfléchis, je vois qu’il y a beaucoup à faire, qu’il faut beaucoup de patience ! Et je veux que vous ne perdiez pas courage… Écoutez la suite… La femme, disais-je, la femme du paysan…

Nicolas s’assit à côté d’elle, détournant son visage joyeux et se caressant les cheveux ; mais bientôt il reporta son regard sur Pélaguée, et écouta avec avidité son récit.

— Quelle chance étonnante ! s’écria-t-il. Il était très possible que vous fussiez arrêtée, mais non… En effet, le paysan lui-même bouge, à ce qu’il paraît ! Ce n’est pas surprenant, d’ailleurs ! Et cette femme, je la vois d’ici… Je devine son cœur courroucé… Vous avez raison de dire que sa douleur ne s’éteindra jamais !… Il nous faudrait des gens qui s’occupent spécialement de la campagne… Des gens ! Nous en manquons… partout ! La vie exige des milliers de bras…

— Il faudrait que Pavel fût libre… et André aussi ! dit-elle à voix basse.

Il lui jeta un coup d’œil et baissa la tête.