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Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/319

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Après une pause, il chuchota en regardant le baquet plein d’eau sale…

— Je ne sais pas comment vous remercier assez…

Tous trois passèrent dans la salle à manger, où ils déjeunèrent. Ignati raconta d’une voix grave :

— C’est moi qui ai distribué les journaux ; j’aime beaucoup marcher. C’est Rybine qui m’a dit : — Va les porter ! Si on t’attrape, on ne soupçonnera personne d’autre…

— Y a-t-il beaucoup de gens qui les lisent ? demanda Nicolas.

— Tous ceux qui savent lire…

Nicolas s’écria tout pensif :

— Comment s’arranger pour que cette feuille à propos de l’arrestation de Rybine parvienne bientôt à la campagne ?

Ignati dressa l’oreille.

— Je m’en occuperai aujourd’hui ! Il y en a déjà, de ces feuillets ? dit-il.

— Oui !

— Donnez-les, je les porterai ! proposa Ignati, les yeux étincelants et se frottant les mains. Je sais où il faut les porter et comment… Donnez !

La mère souriait sans le regarder.

— Mais tu es fatigué et tu as peur, tu viens de dire que tu ne voulais jamais retourner là-bas…

Ignati fit claquer ses lèvres et, lissant ses cheveux bouclés de sa large main, dit d’un ton sérieux et paisible :

— Je suis fatigué… eh bien, je me reposerai… Quant à avoir peur, ça c’est vrai !… Vous dites vous-même qu’on bat les gens jusqu’au sang… personne n’a envie de se faire estropier ! Je m’arrangerai, j’irai de nuit… je trouverai bien le moyen ! Donnez… je partirai ce soir même.

Il se tut un instant, les sourcils froncés.

— J’irai dans la forêt et je m’y cacherai ; ensuite, j’avertirai les camarades, je leur dirai : — Venez et servez-vous. C’est ce qu’il y a de mieux à faire… Si je distribuais les papiers moi-même et qu’on m’attrapât, ce serait dommage pour les journaux… Il y en a déjà si peu, il faut en prendre grand soin.