Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/318

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peur autant que du diable… Et les paysans, ils ne l’ont pas battu ?

— Un seul, sur l’ordre du commissaire. Les autres se sont bien conduits, ils se sont même opposés à ce qu’on le frappe…

— Oui… Les paysans commencent à comprendre…

— Il y en a aussi qui sont intelligents, dans ce village…

— Où n’y en a-t-il pas ? Il y en a partout ! Il faut bien qu’il y en ait ; seulement, il est difficile de les trouver. Ils se cachent dans les coins et se rongent le cœur, chacun pour soi… ils n’ont pas le courage de se rassembler…

Nicolas apporta une bouteille d’alcool, mit des charbons dans le samovar et sortit sans rien dire. Après l’avoir suivi d’un regard curieux, Ignati demanda à voix basse à la mère :

— C’est le maître ?

— Dans la cause du peuple, il n’y a pas de maîtres, il n’y a que des camarades…

— C’est bien étonnant ! dit l’ouvrier en souriant, perplexe et incrédule.

— Quoi ?

— Tout… À un endroit, on vous donne des soufflets… à l’autre, on vous lave les pieds… est-ce qu’il y a un milieu ?

La porte de la chambre s’ouvrit toute grande, et Nicolas répondit :

— Au milieu, il y a ceux qui lèchent les mains des gens qui frappent et qui sucent le sang des gens qui sont battus… voilà ce qu’il y a au milieu !

Ignati le regarda avec déférence, et dit après un silence :

— Ça… c’est la vérité…

— Pélaguée ! reprit Nicolas vous devez être fatiguée… laissez-moi faire…

L’homme retira ses jambes avec inquiétude…

— C’est fait ! répondit la mère en se levant. Eh bien, Ignati, lève-toi maintenant !

Il se redressa, se tint tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre, s’appuyant avec force sur le sol, et déclara :

— On dirait qu’ils sont tout neufs ! Merci… grand merci !