Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/347

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Boukine promena ses regards autour de lui et dit à mi-voix :

— Pour eux, l’essentiel est qu’on se taise…

— Tu ne le savais pas encore ? répliqua le vieillard avec rudesse.

Boukine baissa la voix.

— Et puis, pourquoi le public ne peut-il pas assister au jugement, mais seulement les parents ? Si on juge avec justice, on peut agir devant le monde, pourquoi aurait-on peur ?

Samoïlov répéta, mais avec plus de force :

— Ça, c’est vrai, le tribunal ne satisfait pas la conscience…

La mère aurait voulu lui répéter ce que Nicolas lui avait dit à propos de l’illégalité du jugement ; mais elle n’avait pas bien compris et avait oublié les mots en partie. Pour essayer de se les remémorer, elle s’écarta de la foule ; elle vit qu’un jeune homme à moustache blonde l’observait. Il avait la main droite plongée dans la poche de son pantalon, ce qui faisait paraître l’épaule gauche plus basse que l’autre ; cette particularité sembla familière à la mère. Mais l’homme lui tourna le dos, et, préoccupée par ses souvenirs, elle l’oublia aussitôt.

Un instant après, son oreille saisit un fragment de conversation chuchoté :

— Celle-là ? À gauche ?

Quelqu’un répondit plus haut, joyeusement :

— Oui !

Elle regarda autour d’elle. L’homme aux épaules inégales était à côté d’elle et parlait à son voisin, un gaillard à barbe noire, chaussé de grandes bottes et vêtu d’un paletot court.

Elle tressaillit ; en même temps, le désir lui vint de parler des croyances de son fils. Elle aurait voulu entendre les objections qu’on pouvait lui faire, deviner la décision du tribunal d’après les propos de ceux qui l’entouraient.

— Est-ce donc ainsi qu’on juge ? commença-t-elle à mi-voix, avec prudence, en s’adressant à Sizov. Je ne comprends pas cela… Les juges essaient de savoir ce que chacun a fait, mais ils ne demandent pas pourquoi il l’a fait… Est-ce juste, dites ? Et ce sont tous des vieux ; pour juger des jeunes, il faut des jeunes…