Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/352

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qui désunit les hommes, les arme les uns contre les autres et crée une rivalité d’intérêts inconciliables, qui ment en essayant de dissimuler ou de justifier cette hostilité, et pervertit tous les hommes par le mensonge, l’hypocrisie et la haine… Nous estimons que la société qui considère l’homme uniquement comme un moyen de s’enrichir est anti-humaine, qu’elle nous est hostile ; nous ne pouvons accepter sa morale à double face, son cynisme éhonté et la cruauté avec laquelle elle traite les individualités qui lui sont opposées ; nous voulons lutter et nous lutterons contre toutes les formes d’asservissement physique et moral de l’homme employées par cette société, contre toutes les méthodes qui fractionnent l’homme au profit de la cupidité… Nous, les ouvriers, nous sommes ceux dont le travail crée tout, depuis les machines gigantesques jusqu’aux jouets des enfants. Et nous sommes privés du droit de lutter pour notre dignité humaine ; chacun s’arroge le droit de nous transformer en instruments pour atteindre son but ; nous voulons avoir assez de liberté pour qu’il nous soit possible, avec le temps, de conquérir le pouvoir. Le pouvoir au peuple !…

Pavel sourit et se passa lentement la main dans les cheveux ; le feu de ses yeux bleus brûla avec plus d’éclat.

— Je vous en prie… parlez de l’affaire ! dit le président d’une voix nette et forte.

Il se tournait vers Pavel de toute sa poitrine et le regardait ; il sembla à la mère que son œil gauche et terne avait une lueur avide et mauvaise. Tous les juges avaient le regard fixé sur le jeune homme ; leurs yeux semblaient se coller à lui, s’attacher à son corps pour en sucer le sang et ranimer leurs membres usés. Pavel, ferme et résolu, tendit le bras vers eux et continua d’une voix distincte :

— Nous sommes des révolutionnaires et nous le serons tant que les uns ne feront qu’opprimer les autres. Nous lutterons contre la société dont on vous a ordonné de défendre les intérêts ; la réconciliation ne sera possible entre nous que lorsque nous vaincrons. Car c’est nous qui vaincrons, nous, les opprimés ! Vos mandataires ne sont pas du tout aussi forts qu’ils le croient. Ces richesses qu’ils ont amassées et qu’ils protègent en