Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/360

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’hommes presque morts. Il semblait à Pélaguée que son enfant sentait ces attouchements moites, et qu’il la regardait en frémissant.

Le jeune homme fixait sur sa mère ses yeux un peu fatigués, calmes et affectueux. Par moments, il lui souriait et hochait la tête.

— Je serai bientôt libre ! disait ce sourire qui caressait le cœur de Pélaguée.

Soudain, les juges se levèrent tous à la fois ; la mère suivit instinctivement leur mouvement.

— Ils s’en vont ! dit Sizov.

— Pour les condamner ? demanda la mère.

— Oui…

Sa tension d’esprit se dissipa soudain ; une lassitude accablante envahit tout son corps ; sur son front, des gouttes de sueur perlèrent. Un sentiment de déception cruelle et d’humiliation impuissante jaillit dans son cœur et se transforma rapidement en un accablant mépris pour les juges et pour leur jugement. Une douleur la saisit aux tempes ; elle se frotta le front de la paume de la main, regarda autour d’elle : les parents des prévenus s’approchaient du grillage, la salle se remplissait d’un bruit sourd de conversations. Elle s’avança aussi vers Pavel ; après lui avoir serré la main, elle commença à pleurer, pleine à la fois de chagrin et de joie. Pavel lui dit des paroles caressantes ; André riait et plaisantait.

Toutes les femmes pleuraient, plutôt par habitude que par chagrin. On n’éprouvait pas cette douleur qui abasourdit par un coup stupide, asséné brusquement sur la tête. On avait conscience de la triste nécessité de quitter ses enfants ; mais cette douleur se confondait et se noyait dans les impressions que faisait naître cette journée. Les parents regardaient leurs fils avec un sentiment où la méfiance que leur inspirait la jeunesse et la conscience de leur propre supériorité se mêlaient étrangement à une sorte de respect pour les enfants. Tout en se demandant avec tristesse comment ils allaient vivre maintenant, les vieux regardaient avec curiosité cette nouvelle génération qui discutait audacieusement la possibilité d’une vie autre et meilleure. Ils ne savaient pas exprimer leurs sentiments, ils n’en avaient pas l’habitude ; les paroles s’échappaient avec