Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/361

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abondance des bouches, mais on ne parlait que de choses ordinaires, de vêtements et de linge, des soins à prendre ; on conseillait aux condamnés de ne pas irriter inutilement les supérieurs.

— Tout le monde se lasse ! dit Samoïlov à son fils. Nous aussi bien qu’eux !

L’aîné des Boukine agitait la main et exhortait le cadet :

— Voilà leur justice ! Il est pénible de l’accepter !…

Le jeune homme répondit :

— Tu soigneras bien le sansonnet !… Je l’aimais tant !

— Il sera encore là quand tu reviendras !

Sizov tenait son neveu par la main et disait lentement :

— Ainsi, c’est comme ça que tu as fait… Fédia… C’est comme ça !…

Fédia se pencha et lui chuchote quelque chose à l’oreille avec un sourire rusé. Le soldat qui était à côté d’eux sourit aussi, mais il reprit aussitôt un air grave et grommela.

Comme les autres, la mère parlait de linge et de santé, tandis que dans son cœur les questions se pressaient, relatives à Pavel, à Sachenka, à elle-même. Et sous ses paroles se développait lentement le sentiment de l’amour immense qu’elle portait à son fils, le désir de lui plaire, d’être proche de son cœur. L’attente de la chose terrible avait disparu, ne laissant après elle qu’un frisson désagréable, quand Pélaguée se représentait les juges.

Elle sentait naître en elle une grande joie lumineuse mais elle ne la comprenait pas et en était troublée. Elle vit que le Petit-Russien causait avec chacun, et, comprenant qu’il avait plus besoin que Pavel d’un mot affectueux, elle lui dit :

— Il ne me plaît pas, ce jugement !

— Pourquoi, petite mère ? s’écria André. C’est un vieux moulin, mais il n’est pas désœuvré…

— Ce n’est pas effrayant… et c’est incompréhensible, on ne recherche pas la vérité, dit-elle avec hésitation.

— Oh ! C’est cela que vous vouliez ? s’écria André. Mais croyez-vous qu’on s’occupe de la vérité, ici ?

Pélaguée poussa un soupir :