Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/378

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Sa voix moite frémit, puis elle reprit, de nouveau pensive, en chuchotant :

— Il est élevé par un ennemi acharné de ceux qui me sont chers, de ceux que je considère comme étant les meilleurs êtres de la terre. Et mon fils peut devenir mon ennemi aussi… Je ne peux pas le prendre avec moi, car je vis sous un faux nom. Il y a huit ans que je ne l’ai vu… c’est long, huit ans !

Elle s’arrêta près de la fenêtre et continua, en regardant le ciel pâle et désert :

— S’il était avec moi, je serais plus forte. Même s’il mourait, je serais soulagée…

Après un instant de silence, elle ajouta à haute voix :

— Alors, je saurais qu’il est mort seulement, qu’il ne peut être l’ennemi de ce qui est plus haut encore que l’amour maternel, de tout ce qu’il y a de plus précieux dans la vie…

— Ma chérie ! dit doucement la mère, le cœur étreint par la compassion.

— Vous êtes heureuse ! reprit Lioudmila avec un sourire. C’est merveilleux de voir la mère et le fils marcher côte à côte… C’est rare !

— Oui, c’est bon ! s’écria Pélaguée, et elle continua en baissant la voix ; comme pour confier un secret : c’est une autre vie ! Vous, Nicolas, tous ceux qui travaillent pour la vérité, sont avec nous !… Et voilà que les gens deviennent proches les uns des autres… je les comprends… pas les mots, mais tout le reste, je le comprends !… Tout !

— Ah ! c’est comme ça ? dit la jeune femme, c’est comme ça !

La mère lui posa la main sur l’épaule et continua :

— Les enfants sont en marche dans le monde ! Voilà ce que je comprends : ils sont en marche dans le monde, sur toute la terre, partout, ils vont vers le même but ! Les meilleurs cœurs, les esprits loyaux vont à l’assaut sans regarder en arrière tout ce qui est mauvais et sombre ; ils avancent, ils avancent… Les jeunes et les robustes portent toute leur force à la même cause : à la justice ! Ils veulent triompher de la douleur ; ils ont pris les armes pour anéantir le malheur de l’humanité ; ils veulent vaincre l’horrible et ils le vaincront ! Nous allumerons un nouveau soleil, m’a dit l’un d’eux, et ils