Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/379

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l’allumeront ! — Nous réunirons tous les cœurs brisés en un seul ! a dit un autre. Et ils le feront !

Elle leva le bras vers le ciel :

— Là, il y a un soleil !

Et se frappant la poitrine, elle conclut :

— Et ici, on en allumera un autre, plus éclatant que celui du ciel, le soleil du bonheur humain qui éclairera éternellement la terre, la terre tout entière et ceux qui l’habitent, de la lumière de l’amour que chaque être éprouvera pour tous et pour tout !

Elle évoquait les mots des prières oubliées pour enflammer sa foi nouvelle ; son cœur les lançait comme des étincelles.

— Les enfants qui vont par la voie de la raison et de la vérité portent de l’amour à toutes choses, créent un ciel nouveau, ils ont le feu incorruptible qui sort de l’âme, du tréfonds du cœur. Et c’est ainsi que nous est donnée une vie nouvelle, dans l’amour passionné des enfants pour le monde entier. Et qui pourrait éteindre cet amour ? Qui ? Y a-t-il une force supérieure à celle-ci ? Qui pourrait la vaincre ? C’est la terre qui l’a engendrée, et la vie tout entière veut sa victoire… la vie tout entière !

La mère s’écarta de Lioudmila et s’assit, haletante et fatiguée par l’émotion. La jeune femme s’éloigna aussi, doucement, avec précaution, comme si elle eût craint de briser on ne sait quoi. De son pas souple, elle traversa la pièce, fixant au loin le regard profond de ses yeux sans éclat. Elle semblait encore plus mince, plus droite et plus grande. Sa figure décharnée et sévère avait une expression concentrée, elle serrait nerveusement les lèvres. Le silence apaisa rapidement la mère ; elle demanda à mi-voix d’un ton craintif :

— Peut-être ai-je dit des choses qu’il ne fallait pas dire ?

Lioudmila se tourna vivement, lui jeta un coup d’œil effrayé, et s’écria avec vivacité :

— Non, c’est comme ça… c’est comme ça !… Mais n’en parlons plus !… Que cela reste comme vous venez de le dire… que cela reste… oui ! Et elle continua avec plus de calme : il faut bientôt partir… La gare est loin d’ici.