Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/380

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— Oui, bientôt ! Que je suis contente ! Ah ! que je suis contente, si vous saviez ! J’emporterai la parole de mon fils, la parole de mon sang ! C’est comme mon âme !

Elle sourit, mais son sourire n’eut qu’un pâle reflet sur le visage de Lioudmila. La mère sentait que cette contrainte refroidissait sa propre joie ; soudain, elle fut envahie du désir de communiquer à cette âme sévère son ardeur, de l’étreindre, afin qu’elle se mît à l’unisson de son cœur maternel. Elle prit la main de Lioudmila et dit en la serrant avec force :

— Ma chérie ! Comme il est bon de savoir qu’il y a dans la vie de la lumière pour tous les hommes et que, avec le temps, ils la verront, fondront leur âme en elle et se mettront tous à brûler de cette flamme inextinguible !

Son bon visage était frémissant ; ses yeux rayonnaient et ses sourcils s’agitaient comme pour donner des ailes à l’éclat des prunelles. Elle était enivrée par de grandes pensées, dans lesquelles elle mettait tout ce qui brûlait dans son cœur, tout ce qu’elle avait éprouvé ; et elle enfermait dans les cristaux fermes et vastes des mots lumineux, ses idées qui fleurissaient et rayonnaient de plus en plus dans ce cœur automnal, illuminé par le soleil de la force créatrice.

— C’est comme si un nouveau Dieu nous était né ! Tout pour tous, tous pour tout, toute la vie en un seul, en chacun toute la vie ! Et chacun pour toute la vie ! C’est ainsi que je comprends ; c’est pour cela que vous êtes sur la terre, je le vois ! En vérité, vous êtes tous des camarades, vous êtes de la même famille, car vous êtes les enfants de la même mère : la vérité ! C’est la vérité qui vous a engendrés, et c’est par sa force que vous vivez !

Pélaguée reprit haleine et continua avec un large geste, qui semblait étreindre :

— Et quand en moi-même je prononce ce mot : « camarades ! » je les entends marcher ! Ils viennent de partout en foule. J’entends un bruit retentissant et joyeux, comme si toutes les cloches des églises de la terre sonnaient !

Elle avait réussi : le visage de Lioudmila s’anima ; ses lèvres tremblèrent ; l’une après l’autre, de grosses larmes transparentes roulèrent de ses yeux ternes.