Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/47

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— Elle l’a remarqué ! répondit Pavel. Et c’est pourquoi elle ne vient plus…

Le Petit-Russien continua à marcher lourdement, en se remettant à siffler. Il reprit :

— Et si je lui disais…

— Quoi ?

— Que je… reprit le Petit-Russien, à voix basse.

— Pourquoi le dire ? interrompit Pavel.

La mère entendit rire le Petit-Russien :

— Moi, vois-tu, je crois que quand on aime une jeune fille, il faut le lui dire, sinon il n’en résulte rien…

Pavel ferma son livre à grand fracas, et demanda :

— Quel résultat espères-tu ?

Tous deux se turent pendant quelques minutes.

— Hé bien ? demanda le Petit-Russien.

— Il faut se représenter clairement ce qu’on veut, André, reprit Pavel avec lenteur. Supposons qu’elle aussi t’aime… je ne le crois pas… mais supposons-le. Vous vous mariez. C’est une union intéressante que celle d’une jeune fille instruite et d’un ouvrier… Des enfants naîtront… tu seras obligé de travailler seul… et beaucoup. Votre vie sera celle de tout le monde, vous lutterez pour avoir de quoi vous nourrir, vous loger, vous et vos enfants… Et vous serez perdus pour l’œuvre, tous les deux.

Un silence se fit, puis Pavel continua d’une voix adoucie :

— Laisse tout cela, André ! Tais-toi, ne la trouble pas…

— Et pourtant, Nicolas Ivanovitch prêchait la nécessité de vivre la vie intégrale, avec toutes les forces de l’âme et du corps… tu t’en souviens ?

— Oui, mais pas pour nous ! répondit Pavel. Comment atteindrais-tu à l’intégralité ? Elle n’existe pas pour toi. Quand on aime l’avenir, il faut renoncer à tout dans le présent… à tout, frère !

— C’est pénible ! répliqua le Petit-Russien d’une voix étouffée.

— Comment pourrait-il en être autrement, réfléchis !

De nouveau le silence se fit. On n’entendait que la pendule de l’horloge qui battait en mesure, découpant les secondes du temps.