Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/51

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arrangea les livres sous ses jupes et resta là, sans bouger, jusqu’au retour de son fils et du Petit-Russien.

— Vous savez ? s’écria-t-elle sans se lever.

— Nous savons ! répondit Pavel avec un tranquille sourire. Tu as peur ?

— Il ne faut pas avoir peur ! dit André. Cela ne sert à rien.

— Tu n’as même pas préparé le samovar ! s’écria Pavel.

La mère se leva et, montrant les livres, elle expliqua avec embarras :

— C’est à cause d’eux…

Le Petit-Russien et Pavel éclatèrent de rire, ce qui soulagea Pélaguée. Puis son fils prit quelques-uns des volumes et sortit pour les cacher dans la cour ; André se mit en devoir d’allumer le samovar et dit :

— Il n’y a rien de terrible à cela ; seulement, on est honteux de penser que les gens s’occupent de bêtises pareilles. Il viendra des hommes gris, avec un sabre au côté, des éperons aux talons, et ils fouilleront partout. Ils regardent sous les lits et sous le poêle ; s’il y a une cave, ils y descendent ; s’il y a un grenier, ils y montent. Les toiles d’araignée leur tombent sur le museau et ils ruent. Ils s’ennuient, ils ont honte, c’est pourquoi ils font semblant d’être très méchants et se montrent très irrités contre les gens. Leur besogne est malpropre et ils le savent. Une fois, ils sont venus perquisitionner chez moi, n’ont rien trouvé et sont repartis… une autre fois, ils m’ont pris avec eux. Puis, on m’a mis en prison et j’y suis resté quatre mois. De temps à autre, on venait me prendre et l’on me faisait traverser les rues avec une escorte de soldats ; on me demandait toute sorte de choses. Ce ne sont pas des êtres intelligents, ils ne savent pas parler d’une manière raisonnable ; ensuite ils ordonnaient aux soldats de me reconduire en prison. Et c’est ainsi qu’ils vous font aller et venir : il faut bien qu’ils gagnent leurs appointements. Enfin, on m’a remis en liberté, et voilà tout !

— Quelle manière de parler, mon André ! s’écria la mère avec mécontentement.

Agenouillé devant le samovar, le Petit-Russien soufflait de toute sa force dans le tuyau ; il leva sa figure,