Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/53

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Mais « ils » ne vinrent pas cette nuit-là. Le lendemain matin, prévoyant qu’on allait la plaisanter de ses terreurs, la mère fut la première à rire d’elle-même.


X


« Ils » arrivèrent au moment où on ne les attendait pas, presque un mois plus tard. Vessoftchikov, André et Pavel étaient réunis et parlaient de leur journal. Il était tard, près de minuit. La mère était déjà couchée, elle s’endormait et entendait vaguement les voix soucieuses et basses des jeunes gens. André se leva soudain, traversa la cuisine sur la pointe des pieds et ferma doucement la porte derrière lui. Dans le corridor résonna le bruit d’un seau renversé. La porte s’ouvrit toute grande, le Petit-Russien dit à haute voix :

— Écoutez ce bruit d’éperons dans la rue !

La mère se leva brusquement, prit sa robe d’une main tremblante ; mais Pavel apparut sur le seuil et lui dit avec tranquillité :

— Restez couchée… vous n’êtes pas bien…

On entendit des frôlements furtifs sous l’auvent. Pavel s’approcha de la porte et, la heurtant de la main, il demanda :

— Qui est là ?

Rapide comme l’éclair, une haute silhouette s’encadra sur le seuil ; il y en avait encore une autre ; les deux gendarmes repoussèrent le jeune homme qu’ils placèrent entre eux ; une voix aiguë et irritée résonna :

— Pas ceux que vous attendiez, n’est-ce pas ?

Celui qui parlait était un jeune officier, grand et mince, à la moustache noire. Fédiakine, l’agent de police du faubourg, se dirigea vers le lit de la mère portant une main à la visière de sa casquette, il désigna de l’autre la femme couchée en disant avec un regard terrible :

— Voici sa mère, Votre Honneur !

Puis, agitant le bras dans la direction de Pavel, il ajouta :

— Et le voilà lui-même !

— Pavel Vlassov ? demanda l’officier en clignant des yeux.