Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/10

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le matelot aux cheveux gris arriva, s’empara de moi et expliqua :

— C’est un gamin d’Astrakhan… un passager des cabines…

Il me ramena en courant dans la pièce que je venais de quitter, me posa sur nos colis et s’en alla non sans m’avoir menacé du doigt :

— Ne bouge pas ! Sinon…

Au-dessus de ma tête, le bruit peu à peu diminuait ; le bateau ne vacillait plus, l’eau redevenait calme. La fenêtre me semblait obstruée par une sorte de muraille humide ; il faisait sombre, l’air était étouffant ; les bagages qui encombraient la pièce me gênaient ; tout allait de travers. Une grande angoisse me saisit : peut-être allait-on me laisser seul à jamais sur un bateau vide ?

Je m’approchai de la porte, mais j’ignorais l’art de l’ouvrir et il m’était impossible d’en forcer la serrure. Prenant une bouteille pleine de lait je frappai la poignée de toutes mes forces : le flacon se brisa et le lait, coulant dans mes souliers, m’inonda les pieds.

Chagriné par cet échec, je me couchai sur nos paquets, pleurant silencieusement, et je m’endormis dans les larmes.

Lorsque je me réveillai, le bateau ronflait et tremblait de nouveau ; la fenêtre de la cabine flambait comme le soleil. Assise près de moi, grand’mère se coiffait, fronçant le sourcil, chuchotant je ne sais quoi. Elle avait une masse de cheveux d’un noir bleuâtre qui couvraient d’une toison épaisse ses épaules, sa poitrine, ses genoux et venaient tomber