Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/9

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et cela faisait songer à un gros morceau de pain fraîchement coupé de la miche.

— Où est-elle allée, grand’mère ?

— Enterrer son petit-fils.

— On l’enterrera dans la terre ?

— Mais oui, bien sûr.

Je racontai au matelot comment on avait enterré vivantes des grenouilles, lors des funérailles de mon père. Il me souleva dans ses bras, me serra contre sa poitrine et m’embrassa :

— Ah ! mon petit, tu ne comprends pas encore ! Ce n’est pas des grenouilles qu’il faut avoir pitié ; tant pis pour elles ! C’est ta mère qu’il faut plaindre ; la pauvre femme est-elle assez malheureuse !

Au-dessus de nous, il y eut des grincements et des gémissements, mais je savais déjà que c’était la manœuvre du bateau qui provoquait ces bruits et je n’eus pas peur ; cependant le matelot me posa vivement sur le sol et sortit en disant :

— Il faut que je me sauve !

Moi aussi, j’avais bien envie de m’en aller. Je franchis le seuil. Le couloir étroit et obscur était désert. Non loin de la porte, sur les marches de l’escalier, des barres de cuivre étincelaient. Levant les yeux, je vis des gens qui tenaient des besaces et des paquets. Tout le monde quittait le bateau, c’était évident : je devais donc débarquer moi aussi.

Mais lorsque j’arrivai à la passerelle avec la foule des voyageurs, tous se mirent à crier :

— Qui es-tu ? D’où sors-tu ?

— Je ne sais pas.

On me poussa, on me secoua, on me fouilla. Enfin