Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/12

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blanches et solides ; et quoique la peau noirâtre des joues fût plissée en une multitude de rides, le visage semblait quand même jeune et rayonnant. Il était pourtant gâté par ce nez bourgeonnant aux narines gonflées et à l’extrémité écarlate. Grand’mère aimait un peu trop la boisson et plongeait souvent ses doigts dans une tabatière noire incrustée d’argent. Sa personne tout entière était sombre, mais comme éclairée du dedans ; et à travers ses yeux, son être intérieur brillait d’une lumière chaude, joyeuse et jamais éteinte. Elle était voûtée, presque bossue, très corpulente et cependant se mouvait avec aisance et légèreté, comme une grosse chatte dont elle avait la souplesse caressante et féline.

Avant sa venue, j’avais, pour ainsi dire, sommeillé, noyé dans je ne sais quelle pénombre ; mais elle avait paru, m’avait réveillé et conduit à la lumière ; sa présence avait lié tout ce qui m’entourait d’un fil continu ; elle avait tendu entre l’ambiance et mon âme une passerelle de lumière, et du coup elle était devenue à jamais l’amie la plus proche de mon cœur, l’être le plus compréhensible et le plus cher. Ce fut son amour désintéressé de l’univers qui m’enrichit et m’imprégna de cette force invincible dont j’eus tant besoin pour passer les heures difficiles.

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Il y a quarante ans, les bateaux n’allaient pas vite ; et il nous fallut beaucoup de temps pour arriver à Nijni-Novgorod ; j’ai gardé une impression fort nette