Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/13

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de ces premiers jours où je me saturai, si je puis dire, de beauté.

Le temps restait pur, et du matin au soir nous demeurions grand’mère et moi sur le pont, à regarder, sous le ciel serein, les rives du Volga s’enfuir dorées par l’automne et brodées de soie.

Sans hâte, le bateau roux clair, remorquant une barque au bout d’un long câble, bat l’eau grise et bleue ; bruyant et paresseux, il remonte lentement le courant. La barque, elle, est grise aussi et ressemble vaguement à un cloporte. Le soleil, sans qu’on se rende compte de sa marche, vogue au-dessus du fleuve. Chaque heure voit le décor se transformer ainsi que dans les contes de fées ; les vertes montagnes sont pareilles à des plis somptueux ornant le riche vêtement de la terre ; sur les rivages, des villes et des villages apparaissent prestigieux ; une feuille d’automne dorée nage sur les eaux.

— Regarde comme tout cela est beau ! s’écrie à chaque instant grand’mère, en m’entraînant d’un bord du bateau à l’autre ; et ce disant, ses yeux dilatés rayonnent de bonheur.

Souvent, quand elle contemple ainsi le paysage, il lui arrive de m’oublier totalement : debout, les mains jointes sur la poitrine, elle sourit, silencieuse et les larmes aux yeux, jusqu’à l’instant où je la tire par sa jupe noire garnie de percale à fleurs.

— Hein ? s’exclame-t-elle, surprise. Il me semble que je me suis endormie et que j’ai rêvé.

— Pourquoi pleures-tu ?

— C’est de joie, mon petit, et aussi de vieillesse, explique-t-elle en souriant. Je suis déjà une vieille,