Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/140

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Anne et à Joachim, il avait écrit en lettres droites, à l’encre brune : « Les saints miséricordieux nous ont préservés d’un malheur. »

Je me souviens de ce « malheur » : pour aider ses enfants dont les affaires tournaient mal, grand-père s’était mis à pratiquer l’usure ; il prêtait sur gages. Mais on l’avait dénoncé, et la police, une belle nuit, était tombée chez nous pour perquisitionner. Il y eut dans l’appartement un tohu-bohu formidable, mais tout se termina bien, heureusement : grand-père pria jusqu’au lever du soleil et ce fut le matin, avant le déjeuner, en ma présence, qu’il traça ces mots dans son calendrier.

Avant le souper il lisait avec moi les psaumes, le bréviaire, ou le gros bouquin d’Efrène Sirine ; sitôt le repas terminé, il recommençait à prier ; dans le silence du soir, les paroles de désolation et de pénitence s’égrenaient longtemps, longtemps :

— Que pourrais-je T’apporter ou que pourrais-je Te rendre, ô Roi immortel et magnanime… Et préserve-nous de toute illusion… Et défends-moi contre certaines personnes… Vois mes larmes et mes remords !

Mon aïeul me menait à l’église, aux premières vêpres le samedi, et à la grand’messe le dimanche. Même au temple je savais distinguer à quel Dieu j’avais affaire ; tout ce que le prêtre et le diacre récitaient s’adressait au Dieu de grand-père, tandis que les chantres célébraient les louanges de celui de grand’mère.

J’exprime évidemment d’une façon très rudimentaire cette distinction enfantine établie par moi entre