Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/141

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les Dieux, distinction qui partageait et alarmait alors mon âme. Le Seigneur de grand-père m’inspirait de l’effroi et de la haine. Il n’aimait personne, surveillait toutes les créatures d’un œil sévère ; et ce qu’Il voyait et cherchait avant tout en nous, c’était le mal, le péché, la méchanceté. J’avais le sentiment très net qu’Il ne croyait pas en l’homme, qu’Il attendait sans cesse les confessions de ses fautes et qu’il se plaisait à punir.

À cette époque, la pensée de Dieu composait la principale nourriture de mon âme ; c’était ce que j’avais de plus beau dans ma vie. Toutes les autres impressions m’offusquaient par leur cruauté, leur vilenie, et ne réussissaient qu’à m’inspirer du dégoût et de l’irritation. Dans mon entourage, Dieu était ce qu’il y avait de plus lumineux et de meilleur, je veux dire le Dieu de grand’mère, l’ami de la création. Et, naturellement, je me demandais comment il pouvait se faire que mon aïeul ne vît pas ce bon Dieu-là ?

On m’interdisait la rue, qui m’excitait trop, qui me grisait littéralement et où, presque toujours, je provoquais des scandales par mon attitude batailleuse. Je n’avais point de camarades et les enfants du voisinage me traitaient avec hostilité ; comme ils avaient remarqué qu’il m’était désagréable d’être appelé Kachirine, ils prenaient une joie méchante à me désigner par ce nom.

— Voyez, voyez ! Voilà le petit-fils du vieux grigou Kachirine !

— Tombons-lui dessus ! Et la bataille commençait.

J’étais adroit et plus fort que mon âge ne permettait