Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/152

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— Alexis, va dire à « Bonne-Affaire » de venir prendre le thé ! Bonne-Affaire, pourquoi ne vous servez-vous pas ?

Sa chambre était encombrée de caisses et tapissée de gros livres imprimés en caractères ordinaires que je ne pouvais déchiffrer, car je ne savais lire encore que le vieux russe des livres sacrés. Il y avait aussi dans tous les coins des fioles remplies de liquides multicolores, des morceaux de cuivre, de fer, et des lingots de plomb. Du matin au soir, vêtu d’un veston de cuir roux et d’un pantalon à carreaux noirs, le visage tout barbouillé, échevelé, gauche et malodorant, il fondait du plomb et coulait de petits morceaux de métal qu’il pesait sur une balance de précision. De temps en temps, il poussait un mugissement parce qu’il se brûlait les doigts, et il soufflait à pleins poumons sur ses mains, puis il allait en trébuchant vers les dessins pendus au mur et, après avoir frotté les verres de ses lunettes, il semblait flairer les graphiques, son nez droit et mince, d’une blancheur bizarre touchant presque le papier. Parfois, il s’arrêtait brusquement au milieu de la pièce ou près de la fenêtre, et restait longtemps ainsi immobile, muet, les yeux fermés, le menton levé.

Pour l’observer à mon aise, je grimpais sur le toit du hangar et, à travers la cour, par la fenêtre ouverte, je scrutais la pièce : je voyais devant la flamme de la lampe à esprit-de-vin sa sombre silhouette ; il écrivait quelque chose sur un cahier chiffonné et ses lunettes, avec un reflet bleu et froid, étincelaient comme des glaçons ; pendant des heures entières, le labeur magique de cet homme enflammait