Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quant au militaire, rond lui aussi comme une boule, il passait une grande partie de son temps assis à la fenêtre, gonflant ses joues bleues et roulant gaîment ses yeux roux. Sans arrêt, il fumait la pipe, ce qui le faisait souvent tousser. De temps à autre aussi, on l’entendait rire avec un bruit étrange, pareil à un aboiement :

— Voukh, voukh, voukh…

Dans un petit appartement au-dessus du cellier et de l’écurie, logeaient deux charretiers : l’oncle Piotre, petit bonhomme grisonnant, et son neveu Stépa, garçon très fruste et muet, dont le visage prenait par instants la teinte chaude d’un plateau de cuivre rouge. Un Tatare, nommé Valéy, individu long et maussade qui exerçait la fonction d’ordonnance, habitait avec eux. C’étaient pour moi des gens nouveaux et le mystère d’inconnu qui planait sur eux me captiva tout de suite.

Mais, parmi ces locataires, celui qui me saisit et m’attira le plus, ce fut notre pensionnaire « Bonne-Affaire ». Il avait loué à l’arrière de la maison une longue chambre à deux fenêtres dont l’une donnait sur le jardin, l’autre sur la cour, et qui était contiguë à la cuisine.

C’était un homme maigre et voûté, au teint blanc ; sa barbiche noire se partageait en deux et ses bons yeux étaient protégés par des lunettes. Il était silencieux et discret, et quand on l’appelait pour dîner ou pour prendre le thé, il répondait invariablement ;

— Bonne affaire !

Grand’mère, qu’il fût présent ou absent, se mit à l’appeler ainsi :