Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/162

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« On ne peut pas vivre de la conscience d’autrui, non, non ! »

Soudain, la voix lui manqua, il se tut, promena son regard sur les assistants et se retira sans bruit, la tête penchée, d’un air décontenancé. On se mit à rire, on échangea des coups d’œil gênés, grand’mère se dissimula dans l’ombre du poêle où je l’entendis soupirer.

Petrovna passa la main sur ses grosses lèvres rouges et déclara :

— On dirait qu’il est fâché !

— Mais non, répliqua l’oncle Piotre. Il est parti, comme ça…

Grand’mère descendit du poêle et, sans mot dire, alluma le samovar ; l’oncle Piotre déclara alors posément :

— Les gens instruits, les nobles, sont tous capricieux comme lui !

Valéy bougonna d’une voix maussade :

— Les célibataires font toujours des bêtises !

On se mit à rire de nouveau et l’oncle Piotre reprit :

— Notre histoire l’a fait pleurer.

Je commençais à m’ennuyer ; une sorte de désespérance me serrait le cœur. Bonne-Affaire m’étonnait beaucoup ; et, quand je me remémorais ses yeux pleins de larmes, une invincible pitié m’envahissait.

Il découcha et ne rentra que le lendemain après dîner, tout fripé, apaisé et visiblement confus.

— J’ai fait du tapage hier, s’excusa-t-il auprès de grand’mère d’un ton embarrassé, comme un petit enfant. Êtes-vous fâchée contre moi ?