Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/163

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— Pourquoi serais-je fâchée ?

— Mais parce que j’ai parlé, que je vous ai interrompue…

— Vous n’avez offensé personne…

Je sentais que grand’mère avait peur de lui ; elle ne le regardait pas en face et ne lui parlait pas comme de coutume.

Il s’approcha tout près d’elle, et, avec une simplicité extraordinaire, expliqua :

— Voyez-vous, je suis effroyablement seul, je n’ai personne au monde… On se tait, on se tait longtemps, puis un beau jour, tout se met à bouillonner dans l’âme et cela déborde… Dans ces moments-là, je serais capable de parler à un arbre, à un caillou.

Grand’mère s’écarta de lui.

— Vous devriez vous marier.

— Oh ! s’exclama-t-il, puis son visage se rida et il sortit en levant les bras.

Mon aïeule se rembrunit encore en suivant du regard sa silhouette qui s’éloignait. Humant pensivement une prise, elle m’ordonna d’une voix sévère :

— Ne tourne pas trop autour de lui, entends-tu ? Dieu seul sait ce que c’est que cet homme !

Et cela suffit pour que je fusse de nouveau attiré vers lui.

J’avais remarqué la transformation, le bouleversement de son visage, quand il avait dit : « Je suis terriblement seul. » Il y avait dans ces paroles quelque chose que je comprenais, qui me touchait au cœur et je me mis à rechercher la société de Bonne-Affaire.

De la cour, je jetai par la fenêtre un regard dans