Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/168

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côté de moi ; nous regardions longtemps par la fenêtre : la pluie cinglait les toits et ruisselait dans la cour semée d’herbe ; les pommiers se dénudaient. Avare de paroles, Bonne-Affaire n’employait que les mots indispensables ; la plupart du temps, quand il voulait attirer mon attention sur quelque chose, il me poussait doucement du coude et clignait de l’œil dans la direction voulue.

Je ne distinguais dans la cour rien de particulier, mais ces coups de coude et ces brèves paroles rendaient le tableau très intéressant et tout finissait par se graver profondément dans ma mémoire. Un chat surgissait, trottinant, s’arrêtait devant une flaque lumineuse et, apercevant son image, levait sa souple patte comme s’il se fût préparé à frapper. Bonne-Affaire, à mi-voix, observait :

— Les chats sont fiers et méfiants…

Mamaï, le coq au plumage d’or roux, juché sur la haie du jardin, battait des ailes pour s’affermir sur ses pattes ; ayant manqué de tomber, il se fâchait et caquetait avec colère, le cou tendu.

— Il se rengorge, le général, continuait mon compagnon, mais il n’est guère malin…

Valéy, le maladroit, pénétrait dans la cour, piétinant lourdement comme un vieux cheval. Un blanc rayon de soleil automnal, lui tombant droit sur la poitrine, faisait flamboyer le bouton de cuivre de sa veste. Le Tatare ému s’arrêtait et longuement le tâtait de ses doigts tordus.

— Il contemple ce bouton comme une médaille qu’on lui aurait donnée, remarquait encore mon ami.