— Je ne voulais pas te faire de la peine, frérot : je savais bien, vois-tu, que si nous devenions amis tu serais grondé. N’avais-je pas raison ? Et comprends-tu maintenant pourquoi je t’ai parlé de la sorte ?
Il s’exprimait comme si j’eusse été son égal, comme s’il avait été du même âge que moi, et ses paroles me remplissaient d’une joie douloureuse et intense. Il me sembla que depuis longtemps j’avais compris ce qu’il avait voulu me faire entendre. Je le lui dis :
— Il y a longtemps que j’ai compris cela !
— Tant mieux ! mon ami… Tant mieux, frérot… Une souffrance atroce me serra le cœur…
— Pourquoi est-ce que personne ne t’aime ?
Il passa le bras autour de mon corps, m’attira à lui et répondit avec un clignement des paupières :
— Je ne suis pas de leur race, comprends-tu ? C’est pour cette raison qu’ils ne m’aiment pas. Je ne suis pas comme eux…
Je le tirai par le bras, car je ne savais que répondre, ni comment m’exprimer…
— Ne te fâche pas, répéta-t-il, et il ajouta tout bas, dans le tuyau de mon oreille : Et il ne faut pas non plus que nous pleurions.
Mais les larmes coulaient déjà de dessous ses lunettes.
Ensuite, comme toujours, nous restâmes longtemps assis en silence, échangeant de temps à autre quelques paroles brèves.
Il partit le soir, après avoir amicalement pris congé de tout le monde. Il me serra très fort sur son cœur. Je sortis de la cour et je le regardai s’éloigner, assis dans la télègue qui le secouait et dont les roues