Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/2

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obstinément sur le front. Sans arrêt, d’une voix pâteuse et rauque, elle parle, et de ses yeux gris boursouflés de grosses larmes s’égouttent comme des glaçons qui fondraient.

Grand’mère me tient par la main ; c’est une femme au corps grassouillet, surmonté d’une grosse tête aux yeux énormes sous lesquels bourgeonne un nez comique et mou. Toute sa personne apparaît noire, flasque et étonnamment intéressante. Elle pleure aussi, accompagnant d’une harmonie particulière et vraiment agréable les sanglots de ma mère. Secouée de frissons, elle me tire et me pousse vers mon père, mais je résiste et me cache derrière elle, car je suis gêné et j’ai peur.

Jamais jusqu’à ce jour je n’avais vu pleurer les grandes personnes, et je ne parvenais pas à comprendre les paroles que me répétait ma grand’mère :

— Dis adieu à ton père, tu ne le reverras plus jamais, il est mort, le pauvre cher homme ; il est mort trop tôt ; ce n’était pas son heure…

Je venais de quitter le lit où une grave maladie m’avait retenu. Je cherchai à fixer mes souvenirs. Oui, durant les jours passés dans ma chambre, mon père, je me le rappelai fort bien, m’avait tenu compagnie, me soignant et me distrayant et puis, tout à coup, il avait disparu et la grand’mère, une personne étrangère, était venue le remplacer.

— D’où sors-tu ? lui demandai-je.

Cette personne répondit :

— D’en haut, de Nijni ; et puis, je ne suis pas sortie, je suis arrivée ! On ne sort pas de l’eau, on va en bateau.