Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/220

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— Tais-toi, te dis-je !

J’étais malheureux ; j’éprouvais un sentiment proche du désespoir ; mais, comme pour une raison inconnue, je voulais le dissimuler, j’accumulais équipées sur insolences. Les leçons de ma mère devenaient de plus en plus fréquentes et de plus en plus incompréhensibles ; si j’apprenais sans peine l’arithmétique, je détestais la dictée et ne saisissais rien à la grammaire. Mais ce qui m’accablait surtout, c’était que ma mère souffrait de vivre chez grand-père ; je le voyais et je le sentais ; elle devenait sombre, ses yeux se faisaient lointains ; pendant de longs moments, elle restait assise, silencieuse, à la fenêtre qui donnait sur le jardin. Elle semblait s’être fanée. À son arrivée, elle était fraîche et alerte ; maintenant, des cernes entouraient ses yeux ; durant des journées entières, elle restait dépeignée, vêtue d’une robe chiffonnée, au corsage mal boutonné. Tout cela me contristait et me vexait : elle aurait dû être toujours belle, sévère, bien habillée, mieux que tout le monde !

À l’heure des leçons, elle fixait sur le mur un regard vague, m’interrogeait d’une voix lassée, oubliait mes réponses, et s’emportait pour des riens. Cela aussi m’offensait : ma mère devait être juste, plus juste que tout le monde, comme dans les contes de fée.

Parfois, je lui demandais :

— Tu n’es pas heureuse avec nous ?

Elle me répondait d’un ton rageur :

— Occupe-toi de tes affaires !

Je voyais aussi que grand-père préparait quelque