rousseur ; sa tête avait la même forme que celle d’un cheval. Dès le corridor, quand il arrivait, on l’entendait fredonner :
— André-papa, André-papa…
L’oncle Jacob avec sa guitare venait aussi et amenait avec lui un horloger chauve et borgne, personnage fort réservé que son long vêtement noir faisait ressembler à un moine. Il s’asseyait toujours dans un coin, penchait la tête de côté et souriait. Il n’avait rien de particulièrement brillant, mais son œil unique se posait sur les gens avec une insistance bizarre. Je ne l’ai guère entendu répéter que ces paroles, toujours les mêmes :
— Ne vous donnez pas la peine, cela n’a pas d’importance…
Lorsque je l’aperçus pour la première fois, je me rappelai tout à coup une chose vue bien longtemps auparavant, à l’époque où nous habitions encore la rue Neuve : au roulement lugubre et sonore des tambours, une haute télègue noire, entourée de soldats et de curieux, avait passé devant notre maison. Elle venait de la prison et se dirigeait vers la place ; à l’intérieur était assis un petit homme coiffé d’une casquette de drap de forme ronde et chargé de chaînes. Une planche noire qui portait une inscription en grosses lettres était pendue sur sa poitrine. L’homme baissait la tête comme pour lire sa pancarte ; ses jambes tremblaient et les chaînes dont il était chargé cliquetaient.
Aussi, lorsque ma mère dit à l’horloger : « Voici mon fils ! » je reculai précipitamment et me cachai les mains derrière le dos.