croûte avec le doigt ; puis elle cracha à terre avec irritation :
— Le voilà tout sec ! Et moi qui voulais seulement le réchauffer ! Ah ! démons, puissiez-vous donc tous être réduits en miettes ! Et toi, chouette, quand tu auras fini d’ouvrir des yeux grands comme des portes. Ah ! comme j’aimerais à vous casser en morceaux, les uns et les autres !
Retournant le pâté de tous les côtés, pour en tâter la croûte, elle se mit soudain à pleurer à chaudes larmes.
Mon grand-père et ma mère survinrent et elle lança le plat sur la table si brusquement que les assiettes sautèrent :
— Regardez : voilà de quoi vous êtes la cause ! Puissiez-vous n’avoir ni fond ni couvercle !
Tranquille et joyeuse, ma mère l’enlaça et la consola, tandis que grand-père, fatigué et ratatiné, s’asseyait à table, nouait sa serviette autour de son cou et maugréait, tout en fronçant les sourcils pour préserver ses yeux du soleil :
— Qu’importe ! Nous avons déjà mangé de bons pâtés ! Le Seigneur est parcimonieux : il vous fait payer les minutes de bonheur par des années de souffrance et ne prête pas à intérêts fixes… Assieds-toi, Varioucha… C’est fini… n’en parlons plus…
On aurait dit qu’il avait perdu la raison ; durant tout le dîner, il parla de Dieu, de l’impie Achab, du sort pénible réservé aux parents ; grand’mère l’interrompait avec brusquerie :
— Mange donc, entends-tu ?
Ma mère plaisantait et ses yeux clairs étincelaient :