Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/24

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et venaient à la cuisine, fatigués, les mains colorées par le santal, brûlées par les acides, les cheveux noués d’un bout de lacet, en tout semblables aux noires icônes de la famille – à cette heure paisible, grand-père s’asseyait, me plantant devant lui, et il causait avec moi plus souvent qu’avec les autres, à la grande jalousie de mes cousins. Toute sa personne était comme lissée, polie, aiguisée. Son gilet montant, en satin brodé, était vieux et déteint, sa blouse de cotonnade fripée ; de grandes pièces se voyaient aux genoux de ses pantalons et pourtant, il semblait toujours plus élégant, plus propre et plus beau que ses fils, qui eux portaient faux col, manchettes et foulard de soie.

Quelques jours après mon arrivée, il m’obligea à apprendre des prières. Les autres enfants, étant tous plus âgés que moi, prenaient des leçons chez le diacre de l’église de l’Assomption, dont on apercevait par la fenêtre les coupoles dorées.

La tante Nathalie fut chargée de m’instruire ; c’était une femme craintive et paisible, au visage enfantin et aux yeux si transparents, qu’à mon idée, on pouvait voir tout ce qui se passait derrière sa tête.

J’aimais les regarder longuement. Je les fixais sans battre des paupières, alors elle baissait les cils, gênée, tournait la tête et, tout bas, presque chuchotante, demandait :

— Je t’en prie, dis avec moi : « Notre Père qui es… »

Et si je l’interrogeais sur le sens de tel ou tel mot de l’oraison composée en ancienne langue slave, elle jetait un coup d’œil peureux autour de nous et conseillait :