Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/253

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fâcher ; « Est-ce que nous sommes des mendiants ? » se récriait-il. Et Varioucha de répéter la même chanson : « Ah ! maman, pourquoi apportez-vous tout cela ? » Je les ai grondés : « Je suis la mère que Dieu t’a donnée, Maxime, et toi, petite sotte, je suis ta véritable mère ! Comment oseriez-vous me refuser ce que j’apporte ? » Maxime, alors, m’a prise dans ses bras et, tout en dansant, m’a fait faire le tour de la chambre. C’est qu’il était fort, un vrai ours ! Varioucha, elle, la gamine, aussi fière de son mari que d’une poupée neuve, prenait des airs sérieux et discourait gravement sur le ménage, comme une vieille gouvernante ; c’était à mourir de rire. N’empêche que les talmouses qu’elle nous donna avec le thé étaient si dures qu’un loup s’y serait cassé les dents, et la caillebotte toute en grumeaux, comme du gravier. »

Cela dura longtemps ainsi ; tu allais bientôt venir au monde ; et grand-père gardait toujours le silence ; c’est qu’il est têtu, le vieux gnome. Il savait bien que j’allais chez tes parents, mais il feignait d’ignorer la chose et il était toujours interdit de parler de Varioucha à la maison. Personne d’ailleurs n’en soufflait mot, pas même moi, mais je savais bien que le cœur paternel ne peut pas rester muet éternellement. L’heure à laquelle il devait capituler arriva. Ce fut une nuit que la tempête faisait rage : on aurait dit que des loups grimpaient aux fenêtres ; les cheminées hululaient et les démons semblaient échappés de l’enfer. Nous étions couchés, grand-père et moi, et nous ne pouvions fermer l’œil ; je lui dis : « Ah ! que les pauvres sont malheureux par des nuits pareilles ; mais ceux qui n’ont pas le cœur en paix