Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/254

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sont plus malheureux encore ! » Tout à coup, sans autre préambule, grand-père me demande : « — Comment vont-ils ? — Ils vont bien, lui répondis-je, et ils vivent normalement. — Sais-tu seulement à propos de qui je t’ai demandé cela ? me fait-il. — À propos de ta fille Varioucha et de ton gendre Maxime ! — Et comment l’as-tu deviné ? — Finis donc, père, cesse cette plaisanterie, elle n’amuse personne ! » Il soupira : « Ah ! vous êtes bien des diables, des diables gris. » Ensuite, il me questionna : « N’est-ce pas que c’est bien un imbécile, un grand imbécile qu’elle a épousé ? » Je lui répondis : « L’imbécile, c’est celui qui ne veut pas travailler, celui qui est à la charge d’autrui : tu ferais mieux de regarder Jacob et Mikhaïl, en voilà deux qui vivent comme de véritables imbéciles. Qui est-ce qui travaille, qui est-ce qui gagne chez nous ? C’est toi. Et eux, crois-tu qu’ils t’aident vraiment ? » Là-dessus il m’a injuriée, me traitant de sotte, de méchante, d’entremetteuse et de je ne sais quoi encore. J’ai gardé le silence. « Comment as-tu pu être séduite par cet homme que nul ne connaît, qui vient on ne sait d’où ? » continua-t-il. J’ai résisté dans mon mutisme et quand il a été fatigué, je lui ai répondu : « Tu devrais aller voir toi-même comment ils se comportent, car ils s’entendent joliment bien. — Ce serait leur faire trop d’honneur ; qu’ils viennent eux-mêmes ! » Je me suis mise à pleurer de joie ; il a défait mes nattes, car il aimait à jouer avec mes cheveux, et a murmuré tout bas : « Ne pleurniche pas, nigaude ; est-ce que tu t’imaginais que je n’ai point de cœur ? » Au fond, grand-père était un bien