Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/29

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grandes personnes transformaient la couleur des étoffes : elles prenaient un tissu jaune, par exemple, le plongeaient dans une eau noire, et l’étoffe devenait bleu foncé ou indigo. On rinçait une étoffe grise dans de l’eau roussâtre et elle devenait rouge bordeaux. C’était incompréhensible, mais si simple, semblait-il.

C’est pourquoi je voulus teindre moi aussi quelque chose, et je m’ouvris de ce projet à Sachka, fils de l’oncle Jacob, garçon sérieux et affable envers tout le monde, toujours prêt à rendre service. Les grandes personnes l’aimaient pour sa docilité et son intelligence ; seul, grand-père le regardait de travers et disait de lui :

— Quel sournois !

Fluet, les yeux bombés et saillants comme ceux d’une écrevisse, le teint et les cheveux noirs, Sachka parlait d’une voix basse et précipitée, mangeant la moitié des mots, et ne proférait jamais une phrase sans jeter au préalable autour de lui un coup d’œil mystérieux ; on eût dit qu’il se préparait à prendre la fuite, à s’aller cacher on ne savait où, ni pourquoi. Ses prunelles couleur de noisette étaient immobiles, mais quand il s’animait, elles tremblaient avec le blanc de l’œil.

Il me déplaisait ; je lui préférais de beaucoup Sacha, le fils de l’oncle Mikhaïl, qui était tranquille et paresseux. Avec ses yeux mélancoliques et son bon sourire, il ressemblait beaucoup à sa mère, la douce tante Nathalie. Il avait de vilaines dents qui lui sortaient de la bouche et poussaient sur deux rangées à la mâchoire supérieure, et le préoccupaient sans cesse ; il avait toujours les doigts dans la bouche