Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/30

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pour essayer d’ébranler ou d’arracher les incisives de la rangée intérieure et tous ceux qui le désiraient pouvaient les toucher ; il donnait cette autorisation avec un air soumis et résigné. Mais c’était tout ce qu’il avait d’intéressant. Dans cette maison grouillante de gens, il vivait solitaire, aimait à s’asseoir dans les recoins obscurs, ou encore à s’accouder à la fenêtre, lorsque tombait le soir. Il ne m’était point désagréable de rester assis à côté de lui, à cette fenêtre, dans le silence ; nous demeurions souvent l’un près de l’autre des heures entières à regarder les noirs choucas tourbillonner autour des coupoles dorées de l’église de l’Assomption. Les oiseaux s’élevaient très haut dans le ciel vespéral et rougeoyant, ils retombaient, puis couvraient d’un voile sombre le firmament obscurci et disparaissaient, en laissant l’espace inanimé et vide. Quand on regardait ce tableau, on n’avait pas envie de parler, et un agréable engourdissement emplissait la poitrine.

Sachka, lui, pouvait comme une grande personne discourir avec abondance sur n’importe quel sujet. Apprenant que je désirais m’initier à la profession de teinturier, il me conseilla pour mon coup d’essai de prendre dans l’armoire la grande nappe des jours de fête et de la teindre en bleu foncé.

— C’est le blanc qui est le plus facile à teindre, je te le garantis ! affirma-t-il très gravement.

Je m’emparai de la lourde nappe, et me sauvai dans la cour ; mais je n’avais encore plongé qu’un coin du linge dans la cuve à indigo lorsque Tziganok, sortant on ne sait d’où, fondit sur moi ; il m’arracha la pièce qu’il tordit aussitôt entre ses larges pattes,