Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/299

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— Ah ! je sais que tu vas chez elle !

— Eh bien ?

Pendant quelques secondes, tous deux se turent, puis, ma mère, entre deux accès de toux, s’écria :

— Canaille que tu es !

J’entendis Maximof la frapper ; je me précipitai dans la chambre. Tombée à genoux, ma mère s’appuyait du dos et des coudes à une chaise, râlante, la tête rejetée en arrière, elle bombait la poitrine et ses yeux brillaient d’un éclat terrifiant. Le mari, correctement vêtu d’un uniforme neuf, lui donnait de son long pied des coups de botte dans les seins. Saisissant sur la table un couteau à manche d’ivoire orné d’argent qui servait à couper le pain, seul souvenir que ma mère eût conservé de mon père, je voulus le plonger de toutes mes forces dans le flanc du misérable.

Par bonheur, ma mère eut le temps de pousser Maximof : la lame glissa sur le drap qu’elle fendit et la peau ne fut qu’un peu éraflée. Mon beau-père n’en poussa pas moins des clameurs terribles et sortit en courant de la pièce, la main sur le flanc. Ma mère me prit, me souleva et, rugissante, me jeta violemment sur le plancher, m’écrasant de tout son poids. Je fus délivré par Maximof qui rentrait dans la maison

Plus tard dans la soirée, comme il était tout de même sorti, ma mère vint me retrouver derrière le poêle, me prit dans ses bras et m’embrassa en pleurant :

— Pardonne-moi ! J’ai eu tort ! Ah ! mon petit ! Comment as-tu osé ? Avec un couteau !

Très sincèrement, et comprenant fort bien le sens