de ce que je disais, je lui déclarai que j’avais l’intention d’égorger mon beau-père et de me tuer ensuite. Je crois que je l’aurais fait, que j’aurais essayé tout au moins. Maintenant encore, je revois cet instant infâme, la longue jambe et le passepoil se détachant sur le drap du pantalon ; je vois cette jambe qui se balance en l’air, je vois la pointe du pied qui martèle la poitrine d’une femme. Bien des années plus tard, ce malheureux Maximof mourut sous mes yeux à l’hôpital, il m’était alors étrangement sympathique et je pleurai en voyant ses beaux yeux égarés se troubler et s’éteindre. Mais même à cette heure pénible, l’âme remplie d’une angoisse indicible, je ne pus oublier qu’il avait frappé ma mère à coups de pied.
En évoquant ces incroyables abominations, bien caractéristiques des mœurs russes, je me demande par moments s’il ne vaudrait pas mieux n’en point parler. Mais je me réponds avec une assurance nouvelle : « Si, c’est nécessaire, car c’est la vérité, une vérité vivante et vile qui n’a pas percé encore aujourd’hui. Et cette vérité il faut la connaître jusque dans ses fondements, pour pouvoir arracher de la mémoire des hommes, avec leurs racines, jusqu’au souvenir même des horreurs qui souillèrent la vie russe tout entière, déjà si pénible et si honteuse. »
Et puis, il y a une raison encore plus positive qui m’oblige à les décrire, ces horreurs. Quoiqu’elles soient révoltantes, quoiqu’elles nous écrasent et ravalent quantité de nobles âmes, le Russe est cependant encore assez jeune et robuste d’esprit pour pouvoir les combattre et les vaincre, et il a commencé.