Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/303

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gravité de ses mouvements avait fait place à une agitation fiévreuse ; ses yeux verts, un peu ternis, prenaient un air méfiant. Tout en riant, grand’mère me raconta comment le partage s’était fait : il lui avait donné tous les pots, toutes les jattes et toute la vaisselle en déclarant :

— Voici ta part, ne me demande rien d’autre !

Ensuite, il lui avait pris la plupart de ses vieilles robes ainsi que son manteau de renard et avait vendu le tout sept cents roubles. L’argent, il l’avait prêté à son filleul, un juif, marchand de fruits. La passion de l’avarice le rongeait à un point tel qu’il avait perdu toute pudeur. Il s’en allait chez ses anciennes connaissances, ses ex-collègues, au tribunal de commerce et chez les riches négociants ; là, il gémissait, assurait que ses enfants l’avaient ruiné et demandait un secours. C’était encore à cette époque-là un homme considéré, on se montrait généreux envers lui, et, de retour à la maison, il agitait sous le nez de grand’mère les billets de banque qu’il avait reçus, se rengorgeant et la taquinant comme un enfant :

— As-tu vu, nigaude ? À toi, on ne t’en donnerait pas la centième partie !

Il prêtait l’argent ainsi obtenu à son nouvel ami, un pelletier long et chauve qu’on avait, dans le faubourg, baptisé « la Verge », et à sa sœur, une grosse boutiquière aux joues rouges et aux yeux bruns, molle et sucrée comme de la mélasse.

Dans la maison, on partageait strictement toutes choses : un jour, grand’mère faisait le dîner avec les provisions qu’elle avait achetées de ses deniers ; le