Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/34

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— Varioucha ! Varioucha !

Grand-père se précipita sur elle, lui donna un croc-en-jambe, s’empara de moi et me porta sur le banc. Je me débattis violemment, je tirai sa barbe rousse, je le mordis au doigt. Il hurlait, mais à chaque mouvement, me serrait plus fort contre lui ; enfin, victorieux, il me lança sur le banc, en me meurtrissant le visage. Je me rappellerai toujours son cri sauvage :

— Attache-le… Je veux le tuer…

Je me souviens aussi du visage blême de ma mère et de ses yeux immenses. Elle courait autour du banc et râlait :

— Non ! Non, papa… Rendez-le-moi…



Grand-père me fustigea jusqu’à ce que j’eusse perdu connaissance ; pendant plusieurs jours, je fus malade. On m’avait couché sur le ventre, dans un lit large et douillet, dressé dans une petite pièce qui n’avait qu’une seule fenêtre, et où une lampe rouge brûlait nuit et jour devant une étagère encombrée d’images saintes.

Ces heures de maladie compteront parmi les grandes heures de mon existence. Je dus sans doute beaucoup grandir au cours de cette période et il se fit en mon être intérieur un travail particulier. C’est à dater de ce moment que se manifesta en moi cette attention inquiète pour tous les êtres humains. Mon cœur, comme si on l’eût écorché, devint incroyable-