Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/47

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sants ; les lutins les aiment beaucoup ! Aussi, ceux qui nourrissent les souris sont-ils très bien vus des lutins !

Tziganok savait faire toutes sortes de tours avec des cartes ou avec des pièces de monnaie ; il criait plus fort que les enfants dont il ne se distinguait presque pas.

Un jour qu’ils jouaient aux cartes tous ensemble, les petits gagnèrent plusieurs fois de suite et Tziganok en fut très affecté ; il prit même un air vexé, refusa de continuer la partie et, en reniflant, vint vers moi se plaindre de la chose :

— Ils se sont donné le mot, j’en suis sûr ! Ils se faisaient signe de l’œil, ils se sont glissé des cartes sous la table. Ce n’est pas jouer, cela ! Moi aussi, je sais tricher, si je veux…

Il avait dix-neuf ans et il était plus grand que nous quatre tous ensemble.

Je me le remémore surtout tel qu’il était les soirs de fête et les dimanches. Lorsque grand-père et l’oncle Mikhaïl étaient partis en visite, l’oncle Jacob, toujours ébouriffé et échevelé, venait à la cuisine et apportait sa guitare. Grand’mère organisait un thé ; elle offrait des gâteaux en quantité et une certaine eau-de-vie contenue dans une bouteille carrée et verte dont les flancs étaient artistement ornés de fleurs de verre rouge coulées à l’intérieur. Tziganok tourbillonnait comme une toupie. Le contremaître survenait sans bruit et les verres de ses lunettes noires scintillaient avec un éclat atténué. Eugénie, la bonne d’enfant, grosse et pansue, pareille à une cruche, à la trogne rouge et grêlée, aux yeux rusés, à la voix de trompette, était également toujours de