Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/49

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culière ; toute sa personne se tendait vers l’oncle ; il regardait la guitare, entr’ouvrait la bouche ; et la salive coulait de ses lèvres. Parfois il s’oubliait au point de tomber de sa chaise, les bras en avant. Quand cet accident lui arrivait, il restait assis sur le plancher et continuait à écouter, les prunelles écarquillées.

Les autres assistants, eux aussi, semblaient pétrifiés et ensorcelés. Le samovar seul murmurait sa monotone chanson, sans dominer d’ailleurs la mélopée de la guitare. Les deux petites fenêtres carrées béaient dans les ténèbres de la nuit d’automne ; parfois, quelqu’un frappait aux vitres un coup léger, tandis que sur la table vacillaient les flammes jaunes de deux chandelles de suif, pointues comme des fers de lances.

L’oncle Jacob s’engourdissait de plus en plus ; il paraissait dormir profondément, les mâchoires serrées ; seules, ses mains semblaient vivre d’une vie particulière, d’une vie à elles ; les doigts recourbés de la droite tremblaient indistinctement sur la table de résonance, comme un oiseau qui battrait des ailes ; et ceux de la gauche couraient avec une rapidité insaisissable sur le manche de l’instrument.

Quand l’oncle était un peu gris, il fredonnait presque toujours une interminable rengaine ; sa voix alors sifflait désagréablement entre ses dents :



Si Jacob était un chien, il aboierait du matin au soir.
Oh ! que je m’ennuie ! Ah ! que je suis triste !
Une nonne passe dans la rue ; un corbeau se perche sur la haie.
Oh ! que je m’ennuie !
Derrière le poêle, le grillon grésille et les blattes remuent.
Oh ! que je m’ennuie !