Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/50

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Le mendiant a mis sécher ses bandes ; un autre mendiant les lui vole !
Oh ! que je m’ennuie ! Oh ! que je suis triste !

Je ne pouvais supporter cette litanie et quand l’oncle arrivait au couplet des mendiants, je me mettais à pleurer bruyamment, le cœur débordant d’une douleur profonde.

Tziganok écoutait avec autant d’attention que les autres ; les mains plongées dans ses boucles noires, il fixait des yeux quelque coin de la pièce et reniflait de temps à autre. Parfois, tout à coup, sans qu’on sût pourquoi, il se mettait à gémir :

— Ah ! si j’avais eu une voix, mon Dieu, comme j’aurais chanté !

Grand’mère soupirait et disait :

— Tu nous déchires le cœur, Jacob, en voilà assez ! Si tu dansais un peu, Tziganok…

On ne lui obéissait pas toujours immédiatement ; mais il arrivait aussi que le musicien appliquait un instant la paume de la main sur les cordes de son instrument dont le chant cessait aussitôt, tandis que son poing serré semblait jeter violemment à terre quelque chose d’invisible et d’insaisissable aux oreilles les plus fines :

— Foin de la tristesse et de l’ennui ! À toi, Tziganok ! s’exclamait-il d’une voix crâne.

Celui-ci rajustait ses vêtements, tirait sa blouse jaune et venait au milieu de la cuisine à petits pas prudents, comme s’il eût marché sur des clous. Ses joues basanées se coloraient et, d’un ton souriant et embarrassé, il demandait :

— Un peu vite seulement, s’il vous plaît !