Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/61

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— Non !

Grand-père tournait lentement autour du traîneau et à mi-voix il constatait :

— Tu as encore rapporté beaucoup de choses aujourd’hui. Prends garde, et surtout ne t’avise pas d’acheter sans argent. Je ne veux pas de cela.

Là-dessus il s’en allait très vite en faisant la grimace.

Les oncles se jetaient sur les paquets et, tout en soupesant les volailles, les poissons, les abatis d’oie, les pieds de veau et les énormes morceaux de viande, ils sifflaient joyeusement et d’un ton approbateur complimentaient le messager :

— Tu as bien choisi !

L’oncle Mikhaïl surtout était ravi : il bondissait, sautillait, flairait de son bec de pivert toutes les marchandises, claquait des lèvres et plissait voluptueusement ses yeux fureteurs. Sec comme son père, il lui ressemblait, mais en plus grand ; il cachait dans ses poches ses mains glacées, puis se mettait à questionner Tziganok :

— Combien mon père t’avait-il donné ?

— Cinq roubles.

— Tu en as pour quinze de marchandises. Et combien as-tu dépensé ?

— Quatre roubles et dix copecks.

— Tu as donc gagné quatre-vingt-dix copecks. Tu vois, Jacob, comme on amasse de l’argent ?

L’oncle Jacob, qui malgré le froid n’était vêtu que d’une blouse, riait tout bas et contemplait le ciel bleu et glacial d’un œil clignotant :

— Tu pourrais nous offrir une bouteille, Tziganok, insinuait-il avec indolence.