Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/62

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Cependant, grand’mère dételait le cheval et familièrement lui parlait :

— Eh bien, mon petit ? Eh quoi, mon joli ? Tu veux t’amuser ? Allons, amuse-toi, mon bon Charap.

L’énorme bête secouait son épaisse crinière, mordillait grand’mère à l’épaule, lui arrachait son fichu de soie et la fixait d’un œil espiègle. Puis Charap hochait la tête pour faire tomber la gelée blanche suspendue à ses cils et se mettait à hennir doucement.

— Tu demandes ton pain ?

Grand’mère lui mettait entre les mâchoires un gros morceau de pain couvert de sel ; pour que rien n’en tombât sur le sol, elle disposait comme une mangeoire son tablier sous la tête de l’animal, et le regardait d’un air pensif.

Tziganok qui s’amusait aussi, pareil à un jeune étalon, bondissait alors vers elle.

— Ah ! patronne, qu’il est gentil ce cheval ; qu’il est intelligent…

— Va-t’en, pas de simagrées, je t’en prie ! Tu sais que je ne t’aime pas les jours de marché ! criait-elle, en tapant du pied.

Elle m’expliqua que Tziganok achetait moins qu’il ne volait.

— Grand-père lui donne cinq roubles ; il en dépense trois et il vole pour dix, me confia-t-elle d’une voix sombre. Il aime la rapine ce vaurien-là. Il a essayé une fois jadis et il a réussi ; on en a ri, on l’a complimenté de son habileté et, depuis lors, il a pris l’habitude de voler. Grand-père a connu dans sa jeunesse la grande misère, maintenant qu’il