Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/64

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et c’est regrettable ; mais tu as du caractère et tu réussiras. Aimes-tu ton grand-père ?

— Je ne sais pas.

— Eh bien, moi, je n’aime personne chez les Kachirine, personne, tu m’entends, excepté la grand’mère. Que le diable aime les autres, si cela lui fait plaisir !

— Et moi, tu ne m’aimes pas ?

— Toi, tu n’es pas un Kachirine ; tu es un Pechkof ; c’est un autre sang, une autre race.

Et il me serra tout à coup contre sa poitrine en poussant comme un gémissement :

— Ah ! si j’avais une voix de chanteur, ah ! Seigneur ! J’aurais bouleversé les gens… Va, mon petit ; il faut que j’aille travailler…

Il me posa à terre, remplit sa bouche de petits clous et se mit à tendre et à clouer sur une grande planche carrée une bande d’étoffe noire toute mouillée.

Peu de temps après, il mourut.

Voici comment la chose advint : dans la cour, près du portail, se trouvait depuis longtemps une grande croix de chêne, toute desséchée à son extrémité inférieure. Dès les premiers jours, je l’avais remarquée ; elle était alors plus neuve et sa couleur jaune se distinguait encore ; depuis, les pluies automnales l’avaient noircie. Elle dégageait une odeur amère et forte de bois vermoulu et faisait tache même dans cette cour exiguë et malpropre.

L’oncle Jacob l’avait achetée pour la placer sur la tombe de sa femme et il avait fait vœu de la porter lui-même sur ses épaules jusqu’au cimetière, au premier anniversaire.

Ce jour tomba un samedi. C’était vers la fin de