Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/68

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le soleil. Les ruisseaux de sang coupaient les bandes de lumière et se dirigeaient vers le seuil ; ils revêtaient une couleur éclatante.

Tziganok ne remuait pas ; seuls, les doigts de ses mains étendues le long de son corps s’agitaient et s’agrippaient au sol et ses ongles colorés brillaient.

Eugénie s’accroupit à ses côtés et plaça un petit cierge dans la main du blessé ; celui-ci ne serrant pas les doigts, le cierge tomba et la flamme minuscule se noya dans le sang ; la bonne ramassa le cierge, l’essuya du coin de son tablier et essaya encore de le remettre dans les doigts convulsés de Tziganok. Un murmure s’élevait et semblait planer dans la cuisine ; pareil à un vent puissant, il me repoussa lorsque j’arrivai sur le seuil, mais je me retins fermement à la poignée de la porte.

— Il a trébuché, racontait d’une voix morne l’oncle Jacob, et ce disant, il frémissait et tordait le cou.

Ses yeux clignotant à chaque mot s’étaient décolorés encore et il ressemblait à une loque grise et fripée.

— Il est tombé et il a été écrasé ; il a reçu le coup dans le dos. Nous aurions été estropiés, nous aussi, si nous n’avions pas lâché la croix à temps…

— C’est vous qui l’avez tué ! accusa sourdement Grigory.

— Mais, voyons…

— Oui, vous !

Le sang coulait toujours ; près du seuil, il formait déjà une flaque qui s’assombrissait, et semblait monter comme l’eau devant un barrage. La bouche emplie d’une écume rosée, Tziganok geignait comme