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la question pour ce qui concerne l’humanité en général, est de savoir si la grande masse des hommes qui peinent, travaillent, se privent, souffrent et meurent, sans adoucissement aucun, sans aucune compensation, ont les mêmes raisons de trouver que tout ici-bas est pour le mieux. On a beau dire : la comédie qui s’appelle la vie peut bien être longue et divertissante, « le dernier acte est sanglant ;.. on jette, enfin, un peu de terre sur la tête, et en voilà pour jamais (XXIV. 58.) » Et quand nous voyons s’approcher pour nous ou pour ceux que nous aimons, ce sanglant dénouement, combien peu nous nous soucions des grandes conquêtes de la science et des progrès qu’elle a pu réaliser ! La force du christianisme est d’avoir tenu grand compte de ce caractère et de cette fin de la vie humaine et d’avoir cherché à tirer la suprême joie d’une suprême douleur, comme il a fait jaillir la plus lumineuse certitude des profondes ténèbres de la nature humaine[1].

Nous refusons donc d’admettre que la véritable science positive puisse jamais entrer en lutte ni môme en compétition avec le vrai et pur christianisme. Nous allons plus loin ; nous disons que des grandes découvertes que la science a réalisées, du merveilleux essor qu’elle a donné à l’esprit humain, il est possible de faire un des plus puissants moyens d’apologie. Ce triomphe de la dialectique qui consiste à tourner les objections en preuves, ce triomphe de la diplomatie qui consiste à tourner les obstacles en moyens, l’apologie qui est à la fois une haute dialectique et une haute diplomatie, peut très légitimement le rêver et le goûter pour son propre compte ; elle peut, s’emparant de la science, la tourner en moyen et en preuve.

  1. On peut voir l’exposition et la discussion de cette importante question : Sainte-Beuve. Port-Royal III, p. 329-339.