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HISTOIRE DU MOYEN-ÂGE

proque devint cependant plus complexe qu’exclusive, la plupart étant à la fois suzerains et vassaux. Souvent les mêmes hommes, à raison de fiefs différents qu’ils tenaient les uns des autres, se trouvaient entre eux tantôt dans le rapport du vasselage, tantôt dans celui de la suzeraineté.

Mais la féodalité n’était pas seulement représentée par des seigneurs et des vassaux. Il y avait des sujets au pied du donjon féodal, et s’il les protégeait parfois, il les opprimait souvent. Les hommes libres avaient disparu, remplacés par les serfs, les vilains, les hommes de poeste (gens potestatis), taillables à merci de la tête jusqu’aux pieds. Non seulement le maître du château taillait à son gré les colons, mais toute juridiction lui appartenait sur eux. Il pouvait leur prendre tout ce qu’ils possédaient, les jeter en prison, avec ou sans motif. Le vilain (villicus, villageois) n’avait nul droit de fausser jugement, car la loi disait : « Entre toi, seigneur, et toi, vilain, il n’y a juge fors Dieu. »

Les mainmortables, qui ne pouvaient ni se marier, ni acquérir, ni aliéner, ni hériter, ni léguer leur pécule sans l’agrément du maître, étaient pourtant considérés comme supérieurs aux serfs. Au-dessus de ces deux classes opprimées venait celle des tenanciers libres, vilains, manants ou roturiers, dont l’indépendance était respectée en apparence, moyennant une rente annuelle et de nombreuses corvées. On leur concédait, pour la forme, la faculté de tester en faveur de leurs enfants ; au fond, pendant longtemps du moins, surtout dans les campagnes, ils restèrent confondus avec les esclaves de la glèbe. Telle était cette population qui, seule, nourrissait les possesseurs du sol, sans pouvoir vivre elle-même, toujours victime des guerres féodales, décimée par la peste et la famine permanentes, vouée à la plus abjecte ignorance. À la fin du xe siècle, « siècle de fer, » l’âme des peuples chrétiens se remplit d’une inexprimable épouvante ; on crut sincèrement à la fin du monde ; la mort intellectuelle allait être suivie de la mort physique ; on cessa de bâtir, de travailler, d’amas-