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Mais li saint furent sage et preuz et viguereus de faire leur pourfiz[1] ; comme cil qui bien aperçurent que li siecles ne valoit riens[* 1]. Si orent plus chier a souffrir mal et offrir leur cors a tourment et a martire et avoir honte et laidure pour l’amour de Dieu, en cest siecle qui si pou dure, et avoir les biens de paradis a touz jours que avoir aise mua-[Fo 10 a]ble au cors pour avoir la painne pardurable. Si n’orent cure de tels biens qui riens ne valoient en la fin. Ainz[2] pristrent le frain as denz pour aquerre le trés haut sens de paradis. Et moult y a de ceuls[3] qui les tindrent pour fols[4] au monde, qui orendroit ont bien les cols chargiez de ce dont il sont delivrés. Car il sont herbergiez en paradis.

Et encore tient on maint sage a fol[5], qui ne prisent gaires leur paroles.

[Fo 10 b.] Maint sage sont orendroit en paradis que, s’il prisassent les fols[6] diz et les paroles des genz[7], tant comme il furent au monde, il n’eüssent pais[8] fait ce qu’il firent ; ausin[9] comme font orendroit moult de gent[10] qui tant couvoitent[11] a avoir le los de cest siecle pour la parole des fols[12], qu’il en laissent a faire les biens de Nostre Seigneur[* 2] ; don[13] li saint firent bien leur preu[* 3], car il ne laisserent[14] pas, pour les deliz du siecle, a servir Dieu pour a-[Fo 10 c]voir paradis, ou il ont joie et toute honneur, comme cil qui seigneur en sont[15] et seront sanz fin. Et s’il eüssent autrement fait, il eüssent touz jourz[16] honte et laidure en enfer ou touz les maus[17] que l’en porroit deviser sont.

Si est merveilles[18] de cest monde, comment[19] ce est que tant de gent sont qui soufferrient[20] plus de painne pour le los des genz[21] conquester ou pour amasser avoir, qui si pou de tans leur demeure et qui en une [Fo 10 d] seule heure leur faut, que il ne feroient pour conquerre les biens de Nostre Seigneur, qui ja ne faudront, que li saint ont en lor baillie pour

  1. — B : preufiz ; N : proufiz.
  2. — A : Aiz ; B : Ain ; N : Ainz.
  3. — B : cels ; N : ceus.
  4. — B : fouls ; N : fous.
  5. — B : foul ; N : foul.
  6. — B : fouls.
  7. — B : gens.
  8. — B : pas.
  9. — B : aussi.
  10. — B : gens.
  11. — B : couveitent.
  12. — B : fouls.
  13. — B : dont ; A : don. Cette orthographe est confirmée. Cf. p. 80, note**.
  14. — B : laissierent.
  15. — B : qui en sont seigneur.
  16. — B : jours.
  17. — B : mals.
  18. — B : merveille.
  19. — B : comme.
  20. — B : soufferoient.
  21. — B : gens.
  1. * « Mais... riens » : Mais les saints furent sages et braves et ardents à chercher leur salut, comme ils savaient bien que ce monde n’est qu’une chose vaine (ne valait rien).

    Sloan fo 80 c :

    Mais li saint furent bon et preu
    et bien sorent faire lor preu,
    com cil qui aperchiurent bien
    que li siecles ne valoit rien.

  2. * « Et encore... Seigneur » : Et pourtant ces gens (on) prennent maint sage pour un fou parce qu’il n’a pas grande opinion de leurs paroles. Il y a maint sage au paradis maintenant qui n’y serait pas arrivé (qui n’eussent pas fait ce qu’ils firent) s’il avait écouté les folles paroles des gens pendant qu’il était sur cette terre. Pourtant beaucoup de gens agissent maintenant de telle façon qu’ils convoitent la louange de ce monde par la bouche des fous au point de cesser de faire le bien (les commandements de Notre Seigneur).
  3. * « don... preu » : sous ce rapport les saints firent bien leur profit.