Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/107

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blier ses premiers vers dans la République des Lettres, se tournait du côté de la prose, et fréquentait assidûment Émile Zola, après les heures consacrées à son bureau du ministère de la marine. Maurice Rollinat, qui venait de publier son volume les Brandes, juste à la veille du 16 mai, heure funeste et véritablement antilittéraire, était parti en province, avec une jaunisse de désespoir. La République des Lettres s’était transportée rue de Châteaudun, loin du Sherry-Cobbler, et le Sherry-Cobbler s’éteignait sous une avalanche de papiers timbrés.

Georges Lorin et moi, nous étions mélanco-

    Le soleil excitait les puissances du corps ;
    Il entrait tout entier jusqu’au fond de mon être ;
    Et je sentais en moi bouillonner ces transports
    Que le premier soleil au cœur d’Adam fît naître.

    Une femme passait ; elle me regarda,
    Je ne sais pas quel feu son œil sur moi darda,
    De quel emportement mon âme fut saisie ;
    Mais il me vint soudain comme une frénésie
    De me jeter sur elle, un désir furieux
    De l’étreindre en mes bras et de baiser sa bouche !
    Un nuage de sang, rouge, couvrit mes yeux,
    Et je crus la presser dans un baiser farouche.
    Je la serrais, je la ployais, la renversant ;
    Puis, l’enlevant soudain par un effort puissant,
    Je rejetai du pied la terre, et, dans l’espace
    Ruisselant de soleil, d’un bond je l’emportais.
    Nous allions par le ciel, corps à corps, face à face,
    Et moi, toujours vers l’astre embrasé je montais,
    La pressant sur mon sein d’une étreinte si forte
    Que, dans mes bras crispés, je vis qu’elle était morte.